Dr Kin
bcaa

Est-ce que les suppléments de BCAA sont utiles ou néfastes ?

Les acides aminés à chaîne ramifiée (BCAA), plus précisément la leucine, la valine et l’isoleucine, ont pris l’industrie du conditionnement physique d’assaut. Qui n’a pas ses BCAAs ?

Leur marché représente des ventes annuelles de plusieurs millions de dollars et il s’agit d’un des suppléments les plus en vogue. On leur attribue de nombreux bienfaits ; améliorer la récupération, retarder l’apparition de la fatigue, stimuler l’attention, mais surtout favoriser la perte de poids et stimuler les gains de masse musculaire. L’intérêt pour ces acides aminés essentiels ne date pas d’hier, voilà près de 35 ans que l’on s’y intéresse. Est-ce que cette popularité est justifiée, est-ce que les BCAAs ont leur place sur les étagères des sportifs souhaitant améliorer leurs performances ?

La principale motivation poussant les gens à consommer des BCAAs repose sur le désir de modifier la composition corporelle, soit réduire la masse grasse et augmenter la masse maigre. Déjà, en 1981, Buse et coll. rapportaient que ces acides aminés semblaient être le facteur limitant au niveau de la synthèse des protéines musculaires. Depuis, plusieurs autres études, beaucoup chez les rongeurs d’autres sur l’humain, ont rapporté des résultats similaires. En se basant sur ces résultats plus que probants, on conclut rapidement que l’administration par voie orale de leucine, valine et isoleucine stimulerait la croissance musculaire.

Toutefois, il est essentiel de bien concevoir l’ensemble du processus de l’hypertrophie musculaire. Il existe de nombreuses voies métaboliques par lesquelles un muscle peut emprunter le chemin de l’hypertrophie, chacune ayant ses éléments stimulants et ses facteurs limitants. Une de ces voies (la voie mTOR1 pour ceux et celles que ça intéressent) est effectivement stimulée par les acides aminés à chaîne ramifiée, plus spécifiquement par la leucine. En effet, des études ont démontré que l’infusion de leucine (par voie intraveineuse et non orale) activait et stimulait cette voie métabolique. Si nous nous arrêtons là, nous allons hâtivement conclure que les BCAAs ont du bon et que leur consommation à l’entraînement ne peut que favoriser les gains de masse musculaire. Si nous continuons à fouiller un peu plus et élargissons notre perspective, nous allons découvrir autre chose.

Si la voie métabolique mTOR1 est activée, cela signifie qu’une des phases du processus hypertrophique démarre. Cependant, l’activité de cette étape n’est pas forcément garante d’un processus hypertrophique complet et d’une augmentation de la masse musculaire ou même encore d’une récupération adéquate. Ce n’est pas parce que l’on réussit à allumer le moteur d’une voiture que l’on va réussir à parcourir 200 km avec…

D’autres facteurs limitants entrent en considération afin que le muscle puisse effectivement bénéficier d’une balance protéinique positive. Un de ces facteurs est la disponibilité de l’ensemble des acides aminés essentiels et non pas seulement de la leucine, de la valine et d’isoleucine.

L’infusion de BCAAs à jeun (loin d’un repas et sans autres apports en protéines et en acides aminés essentiels) entraîne une augmentation de la concentration de ces acides aminés dans le sang et dans l’environnement musculaire, mais une diminution de la concentration des autres acides aminés essentiels. On remarque alors un phénomène intéressant, une réduction de la synthèse des protéines jumelée à une réduction de la dégradation des protéines. Au final, on observe une balance négative au niveau des protéines musculaires, ce qui signifie une absence de gain en masse musculaire. L’organisme doit puiser dans ses propres réserves d’acides aminés pour essayer de combler ses besoins. Il n’arrivera pas forcément à combler l’ensemble de ces derniers avec ce qu’il a sous la main à ce moment précis.

En poussant encore plus loin la réflexion, cet état, bien que transitoire, implique potentiellement une autre conséquence fâcheuse : la diminution de la force musculaire. Le remodelage musculaire est un élément clé de la progression en entraînement. Les composantes musculaires sont endommagées lors de l’entraînement et sont ensuite réparées. Cette réparation n’est pas générique ou aléatoire, mais plutôt spécifique à la stimulation. Une balance protéinique négative au niveau du muscle vient inévitablement limiter la capacité d’adaptation du muscle ce qui peut se traduire par une incapacité à augmenter la force musculaire et possiblement même à une diminution de cette dernière.

Alors, serait-il néfaste de consommer des BCAAs avant, pendant ou encore après l’entraînement ?

Pas nécessairement, mais il faut considérer quelques éléments importants avec de consommer des suppléments de BCAAs

La consommation de BCAAs pourrait être réduite à une simple ingestion de leucine, ce dernier acide aminé semblant plus qu’adéquat pour stimuler une voie métabolique de l’hypertrophie musculaire. Cependant, cette stimulation doit absolument être accompagnée d’une ingestion plus ou moins rapprochée (idéalement au préalable) de l’ensemble des acides aminés essentiels (une protéine complète ou des protéines incomplètes complémentaires). En l’absence d’apports exogènes en acides aminés essentiels, la synthèse des protéines ne pourra se traduire par une accumulation de protéines au niveau du muscle et risque même d’entraîner une diminution des acides aminés essentiels disponibles.

Concrètement ?

Si vous consommez des BCAAs autour ou durant vos entraînements en musculation (et même pour le cardio), vous devriez au préalable avoir ingéré une quantité suffisante d’acides aminés essentiels (~20 g d’une protéine complète comme du lactosérum ou « whey ») dans les 1-2h précédents l’ingestion des BCAAs (idéalement ingérer un supplément de leucine uniquement). De cette façon, la leucine stimule une des voies métaboliques et l’entraînement risque d’en stimuler plusieurs autres. En présence de l’ensemble des acides aminés essentiels, vous allez créer un milieu favorable à l’hypertrophie musculaire. Cependant, vous devez vous assurer que l’ensemble des éléments permettant l’hypertrophie musculaire soient également présents comme la balance énergétique positive sur 24 h (plus de calories ingérées que de calories dépensées sur 24 h) et une balance protéinique positive (plus de protéines ingérées que de protéines oxydées).

Donc, soyez prudent lorsque vous avez recours aux BCAAs, vous pourriez obtenir l’effet contraire que celui initialement souhaité. Le métabolisme des acides aminés est complexe et ses ramifications nombreuses, il est facile de s’y perdre. Idéalement, je ne recommanderais que l’utilisation d’une dose de leucine (3 g à 9 g) autour de l’entraînement, conjointement avec des apports adéquats en protéines complètes et je m’abstiendrais de consommer un supplément de BCAAs.

Références

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