Dr Kin
cardio et fonte musculaire

Cardio et fonte musculaire

Le fameux concept concernant l’incompatibilité de l’entraînement aérobie et du gain de masse musculaire continue de faire son chemin. Plusieurs internautes ont assurément vu la fameuse photo comparant un marathonien chétif et un sprinteur de 100m afin d’appuyer le concept. On y voit le pauvre coureur de fond, frêle et chauve en comparatif du fier sprinteur musclé tout juste sous le titre accrocheur : Quel corps est le mieux pour la santé et la performance?

Ensuite, la plupart des articles qui utilisent cette image martèlent sur le pauvre entraînement aérobie en soulignant que faire du cardio ne procurera pas d’avantage et qu’il est démontré que la musculation est bien meilleure. Preuves à l’appui en plus!

Revisitons un peu ce concept de perte de masse musculaire et d’entraînement aérobie. Premièrement, l’utilisation du visuel comparant notre marathonien et notre sprinteur olympique. Personnellement, je la trouve particulièrement boiteuse parce que l’on ne compare pas le même type d’athlète et surtout, on tente de comparer des athlètes de niveau et d’âge différents. Pire encore, on associe performance et santé à l’image de leurs 2 corps ce qui résume la santé à avoir une bonne masse musculaire et une faible masse grasse. Je serais très curieux de voir un bilan de santé de nos deux athlètes affiché à côté de leur physique respectif. On se sert d’une image pour pousser un concept en oubliant les points essentiels de l’analyse : nous ne savons pas qui est le plus en santé des deux.

J’ai orienté mes études de cycles supérieures vers un axe impliquant l’entraînement en force et en hypertrophie. Pourquoi? Parce que je crois avec ferveur que ce type d’entraînement procure des bienfaits importants. Pourtant, il faut reconnaître les limites de l’entraînement en musculation. Je fus aux premières loges pour constater que l’entraînement en force et en hypertrophie avait ses limites pour améliorer le profil métabolique, la composition corporelle et la dépense énergétique quotidienne. De plus, l’entraînement en musculation ne permet pas d’augmenter la capacité aérobie, joue peu sur le profil métabolique et n’a potentiellement que peu d’impact seul sur le niveau d’activité physique quotidien. Oui, d’autres études ont observé des résultats similaires, d’autres des résultats différents. Certains ont repris mes conclusions pour dénigrer l’entraînement en musculation et souligner son inutilité dans la gestion du profil métabolique et le contrôle du poids. Pourquoi pervertir le message?

Revenons à l’entraînement aérobie et à la perte de muscle. On prend l’exemple du marathonien qui jouit d’une faible musculature. Pourquoi est-ce le cas? Parce que l’entraînement ainsi que les interactions de l’athlète avec son environnement font en sorte qu’il s’adapte de façon à optimiser ses performances avec ce qu’il a. Si le muscle n’est pas stimulé de façon à générer une augmentation de sa masse musculaire, les gains de masse ne seront pas au rendez-vous et c’est tout à fait normal (et ceci n’a rien à voir avec la santé). Cependant, si un sédentaire ne subit aucune stimulation musculaire afin d’augmenter son développement, les résultats seront différents, car en plus de ne pas bénéficier d’une masse musculaire « optimale » il ne présentera pas les bénéfices associés à l’entraînement aérobie. L’absence d’activité physique est source de bien plus de problèmes que la pratique d’un type d’activité physique.

Reprenons quelques points qui « supportent » l’effet atrophiant de l’entraînement aérobie sur la masse musculaire.

Créer un déficit énergétique qui prévient le gain de masse musculaire

Si l’entraînement aérobie pouvait si facilement créer un déficit énergétique important, nous n’aurions pas le fâcheux problème de surpoids et d’obésité qui afflige la planète. Il n’est pas si facile de créer un déficit énergétique suffisamment important pour occasionner une fonte de masse musculaire. Pour y arriver, il est essentiel de jouir d’une capacité aérobie suffisamment élevée pour permettre une dépense énergétique importante. Donc, un culturiste ayant une capacité aérobie de tondeuse à gazon ne pourra pas dépenser autant de calories qu’un cycliste du tour de France même avec toute la volonté du monde et tous les produits dopants possibles. Le moteur ne pourra transformer suffisamment d’énergie. On oublie le 10 000 kcal par jour.

Carence en glucose et gluconéogenèse

On mentionne également que l’entraînement aérobie va épuiser les réserves de glycogène, ce qui stimule la gluconéogenèse (formation de glucose à partir d’autres substrats comme certains acides aminés contenus dans les protéines) et « mange » littéralement les muscles. Allons-y avec quelques chiffres… Supposons des réserves de glycogène modestes (800 kcal), ceci implique qu’il faut brûler 800 kcal de glucides pour épuiser les réserves de glycogène. En fait, encore une fois, ce n’est pas par compartiments finement délimités que tout cela fonctionne (ne vous inquiétez pas je n’entrerai pas des les détails de la gluconéogenèse). En fait, la néoglucogenèse fonctionne presque tout le temps en recyclant des acides aminés issus de la dégradation naturelle des protéines. Plus les besoins en glucose augmentent, plus elle prendra de l’ampleur. Cependant, les acides aminés qu’elle recycle ne proviennent pas exclusivement des muscles, mais plutôt de l’ensemble des différents processus de dégradation des protéines (alimentation, organes, muscle, etc.). A priori, la gluconéogenèse ne cannibalise pas les muscles, elle utilise ce qui est déjà dégradé sauf lors de cas d’extrême catabolisme (blessures majeures, malnutrition, maladies, etc.). L’entraînement aérobie qui se pratique en conditionnement physique n’épuise pas les réserves de glycogène de façon drastique et ne risque pas de causer un catabolisme extrême se soldant par une autodigestion musculaire précipitée.

L’entraînement aérobie cause une diminution des hormones anaboliques

Oui et non. En fait, ce n’est pas l’entraînement aérobie qui créer un profil hormonal moins favorable, mais bien la quantité d’entraînement (aérobie ou autre). Lorsque les paramètres de surcharge dépassent les capacités de récupération, il s’en suit une dépression de l’ensemble des systèmes, dont le système endocrinien. Le même phénomène s’observe lors de surentraînement en musculation. Les perturbations hormonales sont davantage associées au surentraînement qu’au type d’entraînement. En fait, on observe même des réponses hormonales similaires suite à différents types d’entraînement (aérobie vs anaérobie) ce qui renforce l’idée que ce n’est pas tant l’entraînement, mais bien ses paramètres qui conditionnent la réponse endocrinienne.

L’entraînement aérobie rend plus difficile l’entraînement en musculation

Je dois dire que je suis entièrement d’accord avec ce point. Après avoir couru un marathon, il est clair que la séance d’entraînement de musculation n’est pas la bienvenue. Mais, cette réalité ne s’applique pas uniquement à l’entraînement aérobie. Tous les entraîneurs chevronnés vous diront qu’il y a une séquence à respecter pour l’entraînement des différentes qualités physiologiques. Par exemple, un entraînement très intense en flexibilité (oui, c’est possible!) réduit la capacité de travail en musculation et même le potentiel d’entraînement de la capacité aérobie. Encore une fois, ce n’est pas l’entraînement en-soi qui est problématique, mais la fatigue qui s’en suit. Si l’entraînement aérobie précède l’entraînement en musculation, mais qu’il n’occasionne qu’un minimum de fatigue musculaire locale, il est peu probable que la séance d’entraînement de type conditionnement physique en soit négativement affectée.

Il m’apparait évident que les entraînements de pointes risquent d’être incompatibles : un marathonien ne pourra entreprendre une séance d’entraînement d’haltérophilie après son entraînement aérobie. Inversement, le culturiste ne pourra entreprendre adéquatement une séance d’entraînement pour le marathon après sa séance de musculation. Tout cela n’a rien à voir avec la santé, il s’agit tout simplement d’une surcharge de trop de variables d’entraînement.

Pourquoi faut-il que des méthodes d’entraînement soient foncièrement mauvaises ou obligatoirement bonnes? Ma perception de l’entraînement est quelque peu différente. Je vois l’entraînement comme une façon de générer des adaptations, chaque méthode ayant ses avantages, inconvénients et bien sûr, ses limites. Pourtant, dans la communauté de l’entraînement, on résume très souvent les méthodes ou modes d’entraînement comme étant « bons » ou « mauvais ».

Je ne sais trop pourquoi en entraînement, on tend à toujours compartimenter les choses avec des frontières définies. Par exemple, on fait une distinction marquée entre les filières énergétiques anaérobies et aérobies alors qu’il s’agit en fait d’un continu de structures et composantes s’autoalimentant afin de transformer les substrats en énergie pour le mouvement. On fait de même avec les fibres musculaires, il y a les Types I et les Types II alors que nous sommes aussi en présence d’un continuum de fibres présentant des caractéristiques malléables et consécutives. Non, tout n’est pas noir ou blanc, mais plutôt une vaste peinture allant d’un ton extrême à un autre ton extrême selon une gradation harmonieusement modelée en fonction des stimulations de la vie.

Dans tous les cas, je ne pense pas qu’il soit judicieux de compartimenter l’entraînement dans des stigmates « bonnes » et « mauvaises ». L’entraînement est un véhicule d’adaptations qu’il faut savoir naviguer avec soins. Arrêtons de tomber dans le sensationnalisme digne des magazines à potins et regardons l’entraînement et l’activité physique pour ce qu’ils sont : des façons agréables d’exploiter le plein potentiel humain.

Références

1.            Bonifazi, M, E Bela, G Carli, et al. Influence of training on the response of androgen plasma concentrations to exercise in swimmers. Eur J Appl Physiol Occup Physiol 1995; 70(2). 109-14.

2.            Boutcher, SH. High-intensity intermittent exercise and fat loss. J Obes 2011; 2011. 868305.

3.            Buchanan, JR, C Myers, T Lloyd, P Leuenberger, and LM Demers. Determinants of peak trabecular bone density in women: the role of androgens, estrogen, and exercise. J Bone Miner Res 1988; 3(6). 673-80.

4.            Cadoux-Hudson, TA, JD Few, and FJ Imms. The effect of exercise on the production and clearance of testosterone in well trained young men. Eur J Appl Physiol Occup Physiol 1985; 54(3). 321-5.

5.            Capaccio, JA, TM Galassi, and RC Hickson. Unaltered aerobic power and endurance following glucocorticoid-induced muscle atrophy. Med Sci Sports Exerc 1985; 17(3). 380-4.

6.            Carpenter, SE, B Tjaden, JA Rock, and A Kimball. The effect of regular exercise on women receiving danazol for treatment of endometriosis. Int J Gynaecol Obstet 1995; 49(3). 299-304.

7.            Charmas, M, BH Opaszowski, R Charmas, et al. Hormonal and metabolic response in middle-aged women to moderate physical effort during aerobics. J Strength Cond Res 2009; 23(3). 954-61.

8.            Chicharro, JL, LM Lopez-Mojares, A Lucia, et al. Overtraining parameters in special military units. Aviat Space Environ Med 1998; 69(6). 562-8.

9.            Cumming, D. Influence of aerobic versus anaerobic exercise on male reproductive hormones. Clin J Sport Med 1996; 6(2). 141.

10.          Cumming, DC, SR Wall, MA Galbraith, and AN Belcastro. Reproductive hormone responses to resistance exercise. Med Sci Sports Exerc 1987; 19(3). 234-8.

11.          Docherty, D, HA Wenger, and ML Collis. The effects of resistance training on aerobic and anaerobic power of young boys. Med Sci Sports Exerc 1987; 19(4). 389-92.

12.          Farzad, B, R Gharakhanlou, H Agha-Alinejad, et al. Physiological and performance changes from the addition of a sprint interval program to wrestling training. J Strength Cond Res 2011; 25(9). 2392-9.

13.          Fry, AC and WJ Kraemer. Resistance exercise overtraining and overreaching. Neuroendocrine responses. Sports Med 1997; 23(2). 106-29.

14.          Hackney, AC, MC Premo, and RG McMurray. Influence of aerobic versus anaerobic exercise on the relationship between reproductive hormones in men. J Sports Sci 1995; 13(4). 305-11.

15.          Hiruntrakul, A, R Nanagara, A Emasithi, and KT Borer. Effect of endurance exercise on resting testosterone levels in sedentary subjects. Cent Eur J Public Health 2010; 18(3). 169-72.

16.          Kindermann, W, A Schnabel, WM Schmitt, G Biro, J Cassens, and F Weber. Catecholamines, growth hormone, cortisol, insulin, and sex hormones in anaerobic and aerobic exercise. Eur J Appl Physiol Occup Physiol 1982; 49(3). 389-99.

17.          Koch, B, S Glaser, C Schaper, et al. Association between serum testosterone and sex hormone-binding globulin and exercise capacity in men: results of the Study of Health in Pomerania (SHIP). J Androl 2011; 32(2). 135-43.

18.          Lopez Calbet, JA, MA Navarro, JR Barbany, J Garcia Manso, MR Bonnin, and J Valero. Salivary steroid changes and physical performance in highly trained cyclists. Int J Sports Med 1993; 14(3). 111-7.

19.          Loucks, AB and SM Horvath. Exercise-induced stress responses of amenorrheic and eumenorrheic runners. J Clin Endocrinol Metab 1984; 59(6). 1109-20.

20.          Mero, A, H Kauhanen, E Peltola, T Vuorimaa, and PV Komi. Physiological performance capacity in different prepubescent athletic groups. J Sports Med Phys Fitness 1990; 30(1). 57-66.

21.          Raz, I, A Israeli, H Rosenblit, and H Bar-On. Influence of moderate exercise on glucose homeostasis and serum testosterone in young men with low HDL-cholesterol level. Diabetes Res 1988; 9(1). 31-5.

22.          Santtila, M, H Kyrolainen, and K Hakkinen. Serum hormones in soldiers after basic training: effect of added strength or endurance regimens. Aviat Space Environ Med 2009; 80(7). 615-20.

23.          Tanskanen, MM, H Kyrolainen, AL Uusitalo, et al. Serum sex hormone-binding globulin and cortisol concentrations are associated with overreaching during strenuous military training. J Strength Cond Res 2011; 25(3). 787-97.

24.          Urhausen, A, H Gabriel, and W Kindermann. Blood hormones as markers of training stress and overtraining. Sports Med 1995; 20(4). 251-76.

25.          Wade, CE, KI Stanford, TP Stein, and JE Greenleaf. Intensive exercise training suppresses testosterone during bed rest. J Appl Physiol 2005; 99(1). 59-63.

26.          Webb, ML, JP Wallace, C Hamill, JL Hodgson, and MM Mashaly. Serum testosterone concentration during two hours of moderate intensity treadmill running in trained men and women. Endocr Res 1984; 10(1). 27-38.

27.          Wilkerson, JE, SM Horvath, and B Gutin. Plasma testosterone during treadmill exercise. J Appl Physiol 1980; 49(2). 249-53.