Dr Kin
Divers légumes sont disposés sur un tableau.

Combien de calories par jour mangez-vous réellement?

La question est tout à fait légitime, savez-vous combien de calories par jour vous ingérez? Alors que pour certaines personnes, tenter de déterminer le nombre de calories ingérées tient davantage de la maladie mentale que de l’utilité, pour d’autre il s’agit d’un élément essentiel de leur quotidien. Les gens demeurent toujours surpris de ma réponse lorsqu’ils me questionnent sur le nombre de calories qu’ils devraient ingérer sur une journée. Ma réponse est souvent vague, et ce, même après avoir effectué des mesures de dépense énergétique. En théorie, si je mesure la quantité de calories dépensées, je devrais pouvoir me prononcer sur la quantité de calories à ingérer. En théorie oui, mais la nature pratico-pratique du quotidien rend l’application de la théorie pour le moins diffuse…

Pour plusieurs, compter les calories est un procédé rassurant qui donne une impression de contrôle sur ses apports nutritionnels. En quantifiant tout, on s’assure de contrôler nos apports afin de favoriser l’atteinte de nos résultats. N’importe quel entraineur vous le dira (mais, pas n’importe quelle nutritionniste, étrangement d’ailleurs…). Dans un contexte de perte de poids, le fait de mesurer les apports et subséquemment de les réduire permet de potentiellement créer une restriction calorique favorable à la perte de poids. Pourtant, certaines personnes quantifient leurs apports, semblent créer un déficit et… ne perdent pas de poids. Rapidement, on saute aux conclusions hâtives : hormones, métabolisme, gènes, coupe de cheveux, etc.

Ceux qui me lisent régulièrement diront qu’une réduction de l’activité physique est sans aucun doute la cause. Supposons que l’activité physique a été bien mesurée et qu’elle n’a pas été affligée d’une réduction. Comment expliquer l’échec de la perte de poids? S’agit-il d’un effet compensatoire des noyaux paraventriculaires de l’hypothalamus conjointement avec une hypoactivité de l’épiphyse et une suractivation des surrénales? Peut-être, mais avant d’ouvrir des crânes pour fouiller, je propose d’explorer une avenue un peu moins salissante.

Serait-il possible que l’évaluation des apports nutritionnels soit en cause? La prise alimentaire est assujettie à notre capacité à évaluer les portions, quantités, calories, etc. Cette réalité fait en sorte que la quantité de calories ingérées est affectée par une marge d’erreur et la propagation de cette marge d’erreur d’un repas à l’autre pourrait être la cause des insuccès de la perte de poids. Lansky et coll.1 ont étudié la capacité de personnes souffrant d’obésité à évaluer les quantités et les calories de certains aliments. Seulement 26 % des quantités estimées étaient à l’intérieur d’une marge d’erreur de 10 %, 32 % des estimés étaient entre 11 et 50 % d’erreur et finalement 42 % étaient à plus de 50 % d’erreur. Pour l’estimation des calories, 14 % étaient à moins de 10 % d’erreur, 46 % étaient entre 11 et 50 % et 40 % étaient à plus de 50 % de marge d’erreur. En résumé, pour une sélection d’aliments donnés, l’erreur d’estimation des quantités était en moyenne à 63.9 % et à 53.4 % pour les calories. Si les apports en calories perçues sont de l’ordre de 1800 kcal, la marge d’erreur est de 961 kcal. Cette marge d’erreur explique probablement aussi pourquoi certaines personnes de gabarit et de niveau d’activité physique similaires peuvent percevoir différemment la difficulté de maintenir des apports à 1800 kcal. La première peut en réalité consommer 2200 kcal alors que la seconde seulement 1300 kcal alors que toutes deux croient être à 1800 kcal par jour.

Faut-il mesurer? Pas forcément, mais il faut savoir que la perception peut facilement jouer des tours quantitativement importants.

La mesure des apports nutritionnels n’est pas sans risque et subit elle aussi la dure réalité d’une marge d’erreur. Ne vous réconfortez pas trop vite dans vos balances et tasses à mesurer…

Afin de déterminer la quantité d’énergie ingérée, on utilise des équivalents énergétiques pour chacun des macronutriments (g de glucide = kcal, g de protéine = kcal, g de lipide = kcal). De nos jours, on utilise ces valeurs avec une certitude déconcertante alors qu’en réalité il s’agit d’estimés datant du 19ième siècle. Le système d’Atwater de son créateur Wilbur Olin Atwater  établit que l’énergie disponible dans les aliments correspond à l’équation suivante :

Énergie Métabolisable = Énergie totale de l’aliment – Énergie perdue dans le fécès, l’urine, les sécrétions et les gaz.

Atwater a recueilli des données provenant de la littérature de l’époque et a également mesuré la chaleur générée par la combustion de glucides, protéines et lipides. Ensuite, il a appliqué ces valeurs aux aliments de son époque. De ces expérimentations sont nés les facteurs d’Atwater que nous utilisons encore aujourd’hui. Cependant, nous avons oublié qu’il subsistait une variation pour ces facteurs. Par exemple, la combustion de glucides passe de 3.75 kcal par g (monosaccharides) à 4.2 kcal par g (polysaccharides), la combustion des lipides de 9.37 kcal par g à 9.81 kcal par g (mes données sont incomplètes pour les lipides cependant) et pour les protéines de 3.77 kcal par g à 4.45 kcal par g. Le tableau 1 nous donne une idée de la variation potentielle issue des facteurs d’Atwater pour un hamburger hypothétique de marque populaire.

Un tableau montrant le nombre de calories par gramme de protéines.
Tableau 1: Marge d’erreur inhérente aux facteurs d’Atwater

Il est bien évident que la composition en glucides n’est pas uniquement composée de monosaccharides ou de polysaccharides et l’objectif du tableau est seulement d’illustrer l’écart qu’il exister selon la composition des macronutriments tel qu’établi par Atwater. Pour notre exemple nous avons un écart de près de 50 kcal (10 %) entre les valeurs minimales et maximales. Si nous appliquons cette marge d’erreur à l’ensemble de nos repas (ce qui ne serait pas tout à fait juste, mais je vais tout de même m’adonner à l’exercice) pour une journée comprenant 2000 kcal, nous avons une marge d’erreur de 200 kcal quotidiennement. Donc, en théorie, même si nous mesurons tout à la perfection, il demeure un facteur d’incertitude associée aux éléments mêmes que nous utilisons pour déterminer nos apports énergétiques. Pour vous donner une idée, lors d’études strictement contrôlées où des professionnels dûment formés pèsent les aliments et déterminent précisément ce qui est ingéré et ce qui reste dans l’assiette, on obtient habituellement une marge d’erreur de %.

En terminant, s’il peut être utile de chercher à quantifier ses apports nutritionnels, il faut toutefois s’assurer de bien comprendre que la précision ne sera jamais au rendez-vous. Dans le meilleur des mondes, avec le plan alimentaire le plus stricte, vous n’obtiendrez qu’une précision à ±5 %. Donc, pour 2000 kcal, vous aurez une marge d’erreur de 100 kcal chaque jour. Bien souvent, cette marge d’erreur seule explique bien des échecs…

 

Références

1.            Lansky D, Brownell KD. Estimates of food quantity and calories: errors in self-report among obese patients. The American journal of clinical nutrition. Apr 1982;35(4):727-732.

2.            Burger KS, Kern M, Coleman KJ. Characteristics of self-selected portion size in young adults. Journal of the American Dietetic Association. Apr 2007;107(4):611-618.

3.            Frobisher C, Maxwell SM. The estimation of food portion sizes: a comparison between using descriptions of portion sizes and a photographic food atlas by children and adults. Journal of human nutrition and dietetics : the official journal of the British Dietetic Association. Jun 2003;16(3):181-188.

4.            Levitsky DA, Obarzanek E, Mrdjenovic G, Strupp BJ. Imprecise control of energy intake: absence of a reduction in food intake following overfeeding in young adults. Physiology & behavior. Apr 13 2005;84(5):669-675.

5.            Scagliusi FB, Polacow VO, Artioli GG, Benatti FB, Lancha AH, Jr. Selective underreporting of energy intake in women: magnitude, determinants, and effect of training. Journal of the American Dietetic Association. Oct 2003;103(10):1306-1313.

6.            Wolkoff LE, Tanofsky-Kraff M, Shomaker LB, et al. Self-reported vs. actual energy intake in youth with and without loss of control eating. Eating behaviors. Jan 2011;12(1):15-20.

7.            Zegman MA. Errors in food recording and calorie estimation: clinical and theoretical implications for obesity. Addictive behaviors. 1984;9(4):347-350.