Dr Kin
poids

Faut-il encore parler du poids ?

Notre société évolue tout comme ce qui nous préoccupe et ce qu’il est « in » ou « out » de parler. Le poids est un exemple frappant de cette réalité. On remarque au courant des dernières années un fort mouvement mentionnant de nombreux problèmes entourant le poids (j’ai abordé le sujet à quelques reprises a, b, c), plus particulièrement avec la perte de poids. On reproche différentes formes de discriminations frappant de plein fouet les personnes ne présentant pas un poids « santé » tout en revendiquant une forme de liberté face à la gestion de son poids. Un autre phénomène des temps modernes s’invite au débat : la polarisation des idées (et des personnes).

On remarque principalement deux camps, non pas parce qu’il existe nécessairement un clivage marquant, mais bien parce que les parties plus extrêmes sont habituellement plus vocales que les modérées. La puissance du discours n’est pas forcément représentative de la force des appuis ou encore de la véracité des arguments.

On s’attaque à ceux et celles qui prônent la perte de poids comme « traitement » en leur soulignant les grands torts qu’ils causent à l’individu (stigmatisation, santé mentale, etc.). On s’attaque à ceux qui s’opposent à la perte de poids en leur disant qu’ils ignorent la santé et qu’ils condamnent les personnes en surpoids ou obèses à une mort certaine dans d’atroces souffrances (maladies du coeur, diabète, etc.).

Bref, ce qui découle du débat n’est pas nécessairement ce que souhaite l’une ou l’autre des parties (du moins, j’ose l’espérer). Il semble y avoir plus de dommages collatéraux à la polarisation de ce débat qu’à un poids trop important ou encore à une perte de poids aux antipodes de la santé.

Si l’on souhaite perdre du poids, c’est uniquement parce qu’on n’est pas bien dans sa peau, qu’on ne s’aime pas ou encore qu’on ne supporte plus le regard et le jugement des autres. Le problème n’est alors pas le poids, mais bien comment on se sent et le regard des autres/de la société. Notre poids, ça ne regarde que nous et si nous sommes bien avec ça tout est ok. La solution est de s’accepter comme tel et de s’attaquer au jugement des autres afin de changer leur perspective.

Si l’on ne souhaite pas perdre du poids et que l’on présente un poids plus élevé que ce qui est considéré « santé », c’est qu’on est « brainwashé » par l’industrie anti-diète et que l’on ignore la science ou encore que l’on justifie sa paresse et sa gloutonnerie à travers ce mouvement qui prône l’acceptation de soi au détriment de la santé. Bref, être en surpoids ou obèse ce n’est qu’un choix et la solution passe par la perte de poids.

Alors, qu’est-ce qu’on fait avec le poids ?

Le malaise et la pression entourant la mesure du poids sont palpables. Certains de mes collègues n’utilisent plus cette mesure, n’en parlent plus, non pas parce qu’ils ne croient pas en son utilité, mais simplement par crainte de représailles. Dans ce cas, la disparition de la mesure du poids n’est pas associée à la compréhension et l’acceptation des arguments anti-mesure-du-poids, mais uniquement et plus tristement par peur et intimidation.  Ce sont également des sentiments que l’on retrouve souvent associés à la stigmatisation du poids, mais dans l’autre « camp »…

Le malaise et la pression entourant le surpoids et l’obésité sont également palpables chez les personnes présentant un indice de masse corporelle (IMC) supérieur à 25 kg/m2. On s’appuie sur de lourdes statistiques associant l’IMC à la mortalité précoce pour justifier la nécessité de perdre du poids. Perdre du poids à tout prix assurera la longévité paisible et refuser ce « fait » serait de la folie et de l’ignorance.

Et si tout le monde avait raison, mais le débat avait tort ?

Pourquoi le poids ne pourrait-il pas augmenter le risque de mortalité précoce ? Pourquoi perdre du poids à tout prix ne pourrait pas s’avérer plus problématique pour la santé que maintenir un poids plus important ?

Essayons de comprendre un peu plus objectivement la science derrière le poids.

Les statistiques associent de façon suffisamment convaincante pour que le poids (trop faible ou trop important) puisse être considéré comme un facteur de risque pour la santé.

Un.

Un parmi d’autres.

On argumente souvent qu’une personne en surpoids ou obèse peut être en santé. Je dois dire que je suis entièrement d’accord (et les statistiques aussi) avec cette possibilité. Lorsque l’on parle d’augmentation du risque relatif de mortalité précoce, on parle de probabilité et non pas de certitude. Le poids n’est qu’un facteur de risque parmi tant d’autres, pas une condamnation. De plus, il s’agit d’un facteur de risque qui peut s’avérer difficile à modifier et qui ne repose pas que sur une simple vision axée sur la paresse et la gloutonnerie. L’objectif « santé » vise à réduire le risque de mortalité, donc réduire les facteurs de risque qui peuvent contrevenir à l’atteinte de cet objectif. Cette approche doit donc reposer sur l’identification de l’ensemble des facteurs de risque afin de les réduire le plus simplement et efficacement possible. Une personne ne présentant qu’un seul facteur de risque pour sa santé ne présente pas le même risque relatif de mortalité précoce qu’une personne en présentant 10…

Le camp de la perte de poids devrait plutôt se nommer le camp de la réduction des risques. Dans une approche globale de santé, il importe donc d’identifier l’ensemble des facteurs de risques reconnus comme signifiants, sans pour autant créer une fixation sur un seul d’entre eux. Une personne obèse, active, ayant un sommeil régulier adéquat, non fumeuse, étant assise moins de 4 h par jour, exposée à des écrans moins de 2 h par jour présente moins de risque de mortalité précoce qu’une personne de poids inférieur, sédentaire, assise 8 h par jour, etc.

Toutefois, il importe néanmoins d’informer la personne en surpoids ou obèse que son poids est identifié comme étant un facteur de risque (dans notre exemple, le seul) pour sa santé et son espérance de vie.

Un facteur de risque, c’est tout.

Il ne faut pas y voir systématiquement une problématique accablante ni chercher à banaliser le risque qui est associé au poids.

Si « forcer » cette personne à perdre du poids entraîne des conséquences qui génèrent de nouveaux facteurs de risque, on faillit à l’objectif « santé ». Est-il préférable pour cette personne de ne pas chercher à perdre du poids ? Oui, si la perte de poids ne fait que soustraire un facteur de risque sans en additionner d’autres ou affecter négativement sa santé. Non, si la perte de poids multiplie les facteurs de risque et précipite les statistiques vers un décès précoce.

Dans une perspective éthique et bienveillante, il faut toutefois s’assurer que la personne est clairement informée de la situation, des risques et des bénéfices associés à sa situation afin que cette personne puisse, en toute conscience, être en mesure d’effectuer un choix libre et éclairé.

Pas de pression pour perdre du poids, mais de l’information objective sur l’ensemble des risques liés à sa situation.

Pas de pression pour accepter son poids, mais de l’information objective sur l’ensemble des risques liés à sa situation.

Dans notre contexte de société actuel, il serait pertinent d’effectuer une évaluation plus large, plus globale de l’ensemble des facteurs risques modifiables qui peuvent affecter un individu. L’exposition à un écran pour une période prolongée et être assis la majeure partie de la journée augmentent davantage les risques de mortalité précoce qu’un IMC à 30 kg/m2. Si on accorde de l’importance à l’IMC basé sur la science, il faudrait également accorder de l’importance à la sédentarité, science oblige.

De ce que j’observe dans le débat poids-pas-poids, les différentes parties impliquées semblent désormais chercher « à avoir raison à tout prix pour sauver le monde » plutôt que de chercher à comprendre et accepter les arguments de la partie adverse. On s’oppose systématiquement aux arguments de l’autre plutôt que de les accueillir et modifier les faiblesses de notre argumentaire.

Pas pour avoir raison.

Pas pour nourrir son égo ou son compte de banque.

Pour faire avancer les choses dans le bon sens.

Pour vraiment aider les gens.

Pour faire une saine différence.

En fait, lorsqu’il est question de santé, il ne devrait pas y avoir de « partie adverse », mais seulement des coéquipiers misant sur une coopération saine. L’objectif n’est pas d’avoir raison, mais bien d’aider. Pourtant, ce n’est pas ce qui transpire du débat parfois houleux (on utilise allégrement les étiquettes de bons méchants…)

Au final, polariser le débat, ça ne sert qu’à mercantiliser et commercialiser les parties et cela cause préjudice aux personnes qui sont réellement affectées par les impacts collatéraux des arguments polarisateurs.

En tant que société, sommes-nous encore au stade de lancer des pierres ou avons-nous, ne serait-ce qu’un peu, progressé vers quelque chose de plus constructif ?

Un petit rappel sur quelques facteurs de risques importants côté santé (avec un énorme biais pour la paroisse de l’activité physique) :

  • La sédentarité est la 4ecause de mortalité mondiale et l’Organisation Mondiale de la Santé estime que 30 % de la population mondiale présente un niveau alarmant de sédentarité [1].
  • L’exposition à un écran/télé pour plus de 5 h par jours augmente les risques de mortalité précoce toutes causes confondues de 44 % chez les personnes insuffisamment actives (<~150 min d’activité physique par semaine) et de 15 % chez les personnes présentant un niveau très élevé d’activité physique (>~470 min par semaine) [2]
  • Être assis plus de 8 h par jour augmente les risques de mortalité précoce toutes causes confondues de 27 % chez les personnes insuffisamment actives (<~150 min d’activité physique par semaine) et de 4 % chez les personnes présentant un niveau très élevé d’activité physique (>~470 min par semaine) [2]
  • Chaque tranche de 5 unités d’IMC au-dessus de 24 kg/m2 augmente de 5 % le risque de mortalité précoce toutes causes confondues [3] (pour un mixte hétérogène de populations. Chez les personnes en santé et non fumeuses, le risque de mortalité précoce augmente de 27 % par tranche de 5 unités d’IMC)
  • Fumer augmente les risques de mortalité précoce toutes causes confondues de 280 % [4]

Références

  • Maladies non transmissibles. 2011  [cited 2021 2021-12-13]; Available from: http://www.emro.who.int/fr/noncommunicable-diseases/causes/physical-inactivity.html.
  • Ekelund, U., et al., Does physical activity attenuate, or even eliminate, the detrimental association of sitting time with mortality? A harmonised meta-analysis of data from more than 1 million men and women. The Lancet, 2016. 388(10051): p. 1302-1310.
  • Aune, D., et al., BMI and all cause mortality: systematic review and non-linear dose-response meta-analysis of 230 cohort studies with 3.74 million deaths among 30.3 million participants. BMJ, 2016: p. i2156.
  • Carter, B.D., et al., Smoking and Mortality — Beyond Established Causes. New England Journal of Medicine, 2015. 372(7): p. 631-640.