Dr Kin
Glucides

Il faut arrêter de manger des glucides après 8h le matin…

Les fameux glucides et le moment de la journée pour perdre du poids. On affirme souvent qu’il ne faut pas consommer de glucides après 21 h le soir sous peine d’engraisser. Ou encore 19 h, puis 18 h, maintenant on parle de 14 h. Pourquoi associer l’heure de la journée aux apports nutritionnels et à la perte de poids? Voici certains justificatifs qui sont fournis par les partisans de cette approche.

 1)      Lorsque l’on consomme des glucides le soir et que nous allons nous coucher, les calories ingérées ne seront pas utilisées et seront entreposées sous forme de gras.

Donc, si je me fie à ce raisonnement, il ne faudrait rien manger avant de se coucher et surtout pas du gras. Si cette explication peut sembler convaincante par sa logique (il est vrai que le sommeil exige bien peu de calories, sauf pour les somnambules), la réalité est bien différente. En effet, dès que nous ne mangeons pas, nous puisons dans nos réserves d’énergie. C’est un peu comme le versement du salaire, vous recevez une paye aux 2 semaines et vous vivez sur vos réserves entre temps. Un repas représente un apport en calories et le temps entre ceux-ci un moment où l’on puise dans ces réserves. En fin de compte, le total des calories consommées à chaque repas moins le total des calories dépensées entre les repas détermine s’il y aura un plus ou un moins à la fin de la journée. Tiens donc on revient à la balance énergétique. Mais, au fait, combien de calories on dépense en dormant? Aux alentours de 1-1.3 kcal par min selon les phases du sommeil ce qui nous donne plus de 500 kcal pour une nuit de sommeil de 7 h. De plus, pendant la nuit, nous utilisons une proportion plus importante de lipides que de glucides. Entre 60 % et 80 % de calories dépensées la nuit proviennent de l’oxydation des lipides (ça varie selon les études). Un calcul rapide nous donne entre 33g et 44g de gras brûlé par nuit de 7 h (500 kcal). C’est plus que la plupart des entraînements au centre de conditionnement, glucides pas glucides. 

 2)      L’ingestion de glucides empêche la sécrétion d’hormone de croissance ce qui ralentit l’oxydation des lipides et par la même occasion entraîne une prise de poids

Oui, l’augmentation du glucose sanguin atténue la sécrétion de l’hormone de croissance momentanément. Cette hormone a de nombreux rôles, dont celui de stimuler la lipolyse (mise en circulation du gras). Mais, pourquoi est-ce problématique? Dans un premier temps, l’augmentation du glucose sanguin est temporaire suite à un repas et deuxièmement, pourquoi voudrait-on augmenter les lipides en circulation alors que nous allons nous coucher? Ce n’est pas parce qu’il y a plus d’acides gras libres en circulation que le corps va dépenser plus d’énergie et utiliser plus de gras. Si le premier argument mentionnait que l’on entreposait du gras en mangeant des glucides le soir parce que nous dépensions moins de calories la nuit, celui-ci utilise un raisonnement contraire : plus de gras en circulation la nuit pour en brûler plus (même si on dépense moins de calories). Encore une fois, il faut considérer ce qui se passe sur 24h. Est-ce que la consommation de glucides perturbe la sécrétion d’hormones de croissance sur 24h de façon importante? Et si oui, est-ce que cette perturbation est quantitativement significative? Malheureusement, non et non. On ne s’en sort pas, il faut encore une fois brûler plus de calories.

3)      L’ingestion de glucides cause une élévation de l’insuline qui perturbe l’homéostasie et entraîne un entreposage important des lipides

C’est également vrai, l’ingestion de glucide engendre une élévation de l’insuline afin de disposer du glucose sanguin et de réguler adéquatement la glycémie. Il est également vrai que la présence d’insuline favorise l’entreposage des lipides. Mais, quels lipides? Si vous avez consommé uniquement des glucides, les seuls lipides que vous pourrez entreposer sont ceux que vous avez déjà dans votre organisme. Et si vous avez consommé un repas mixte avec des glucides, lipides et protéines, vous pourrez entreposer les lipides que vous avez mangés. Ce n’est rien de surprenant, nous utilisons et ou entreposons ce que nous mangeons. Ce processus se déroule tant le matin que le soir. En fait, il se déroule à chaque instant des 24 h qui composent votre journée. Lorsque l’on consomme une diète à forte de teneur en lipides, l’organisme oxyde davantage de lipides et, lorsque l’on consomme une diète à forte teneur en glucides, l’organisme oxyde davantage de glucides. Cela n’implique pas que l’on engraisse ou que l’on perde du poids, cela signifie que lorsque nous sommes en équilibre énergétique sur une période de 24 h, nous allons oxyder l’équivalent de ce que nous consommons (glucides, lipides, protéines). Pour faire des réserves, il faut être en présence d’un surplus énergétique qu’il provienne du matin, du midi ou du soir.

4)      En privant l’organisme de glucides le soir, le corps ira puiser dans ses réserves de gras par la suite et ceci favorisera la perte de poids

Je vais simplifier la chose, vous n’avez même pas besoin de priver l’organisme de glucides pour que la nuit, il puise généreusement dans les lipides pour y trouver son énergie (voir le point 1) afin de valser avec Morphée. L’ingestion de glucides avant de se coucher n’y changera pratiquement rien (sauf pour quelques grammes) et l’organisme tentera à nouveau de faire des réserves dès le prochain repas. On ne s’en sort pas, la seule façon de s’assurer de puiser à 100 % dans ses réserves est d’arrêter de manger complètement…

Dernier argument, comment expliquer que les Américains qui soupe relativement tôt sont affligés par une sérieuse épidémie d’obésité alors que plusieurs peuples européens prennent leur “dîner” à des heures beaucoup plus tardives? J’opterais pour une hypothèse basée sur le niveau d’activité physique quotidien qui diffère…

Mais pourquoi les gens qui entament un régime où l’on coupe les glucides le soir perdent-ils du poids alors? Parce qu’ils mangent tout simplement moins. Le tableau 1 (Merci à Evelyne Deblock)présente une journée de repas nord-américains typiques. Si nous imposons une restriction sur les apports en glucides après disons 15 h, nous soustrayons approximativement 97g de glucides soit l’équivalent de 388 kcal par jour. Jusque-là, tout semble très prometteur et nul besoin de chercher à expliquer la perte de poids par quelconque procédé hormonal. Si vous maintenez la même dépense énergétique et que vous soustrayez quotidiennement 388 kcal à vos apports énergétiques, une perte de poids s’en suivra assurément. Pour un temps…

 

Tableau 1: Exemple de repas

Parce que si vous réduisez vos en apports en glucides, vos réserves de glucides vont progressivement diminuer et cette diminution risque fortement d’entraîner une baisse de votre niveau d’activité physique quotidien et par le fait même, du nombre de calories que vous dépensez. Si nous supposons des réserves de glycogène initiales de 300g (c’est quand même beaucoup), après quelques jours, elles seront amputées pratiquement de moitié. Après quelques semaines, à un niveau minimal entraînant une chute du potentiel d’activité physique importante. Alors, pourquoi la grande majorité (il y a toujours des exceptions, comme ceux et celles qui gagnent à la loto) des gens qui coupent les glucides le soir reprennent le poids perdu? Parce qu’ils bougent progressivement moins et qu’ils arrivent à un nouvel équilibre énergétique plus bas (voir les billets sur les diètes protéinées). Cependant, comme ce nouvel équilibre est issu d’une restriction calorique et d’une baisse d’activité physique, il est plus difficile à maintenir. Lorsqu’il y a une augmentation des apports en calories (matin, midi ou soir), le poids revient progressivement, mais pas forcément le niveau d’activité physique. Le résultat? On mange comme avant, mais on bouge possiblement moins et on reprend encore un peu plus de poids…

 Alors, est-ce que de couper les glucides le soir est une stratégie fondamentalement mauvaise ou essentiellement bonne? Ni une ni l’autre, il s’agit d’une façon de tenter de créer une restriction calorique afin de stimuler une perte de poids. Rien de mystique, rien d’incroyable. Si cela fonctionne pour vous et que votre vie est plus rayonnante, tant mieux. Cependant, ne tenter pas d’expliquer comment le tout se passe en prenant le chemin nébuleux du monde endocrinien, de la magie noire et du chamanisme, acceptez le fait que vous mangez moins qu’avant. Ça fait moins fureur comme explication dans les partys de bureau…

 Références

1.            Grandner, MA, NP Patel, PR Gehrman, ML Perlis, and AI Pack. Problems associated with short sleep: bridging the gap between laboratory and epidemiological studies. Sleep Med Rev 2010; 14(4). 239-47.

2.            Holmback, U, A Forslund, J Forslund, et al. Metabolic responses to nocturnal eating in men are affected by sources of dietary energy. J Nutr 2002; 132(7). 1892-9.

3.            Hunter, GR and NM Byrne. Physical activity and muscle function but not resting energy expenditure impact on weight gain. J Strength Cond Res 2005; 19(1). 225-30.

4.            Jung, CM, EL Melanson, EJ Frydendall, L Perreault, RH Eckel, and KP Wright. Energy expenditure during sleep, sleep deprivation and sleep following sleep deprivation in adult humans. J Physiol 2011; 589(Pt 1). 235 44.

5.            Kavanau, JL. Memory, sleep, and dynamic stabilization of neural circuitry: evolutionary perspectives. Neurosci Biobehav Rev 1996; 20(2). 289-311.

6.            Levine, JA. Non-exercise activity thermogenesis (NEAT). Best Pract Res Clin Endocrinol Metab 2002; 16(4). 679-702.

7.            Levine, JA. Non-exercise activity thermogenesis. Proc Nutr Soc 2003; 62(3). 667-79.

8.            Levine, JA. Non-exercise activity thermogenesis (NEAT). Nutr Rev 2004; 62(7 Pt 2). S82-97.

9.            Levine, JA. Nonexercise activity thermogenesis (NEAT): environment and biology. Am J Physiol Endocrinol Metab 2004; 286(5). E675-85.

10.          Scott, JP and LR McNaughton. Sleep deprivation, energy expenditure and cardiorespiratory function. Int J Sports Med 2004; 25(6). 421-6.

11.          van Dale, D, PF Schoffelen, F ten Hoor, and WH Saris. Effects of addition of exercise to energy restriction on 24-hour energy expenditure, sleeping metabolic rate and daily physical activity. Eur J Clin Nutr 1989; 43(7). 441-51.

12.          Wehrens, SM, SM Hampton, RE Finn, and DJ Skene. Effect of total sleep deprivation on postprandial metabolic and insulin responses in shift workers and non-shift workers. J Endocrinol 2010; 206(2). 205-15.