Dr Kin
nuire entrainement

Et si votre entraînement nuisait à votre entraînement ?

 

Quand j’ai assisté à mon premier cours traitant de la prescription d’entraînement, on m’a parlé en long et en large de l’incompatibilité de l’entraînement de certaines qualités physiologiques. L’enseignant avait alors illustré cette réalité en mentionnant qu’il était impossible pour un culturiste d’aspirer à courir un marathon et pour un marathonien de faire compétition en culturisme. Les entraînements étaient à l’opposé du continuum sacré de l’entraînement. L’image fut si forte qu’elle m’est revenue en tête il y a quelques mois lorsqu’une de mes athlètes m’a demandé si c’était possible pour elle de participer à un évènement de calibre national (IFBB International Event Qualifier) en Figure et compléter un marathon un mois plus tard (marathon d’Ottawa).

Selon toute vraisemblance et surtout selon les grands principes qui régissent l’entraînement, l’entreprise serait vouée à l’échec. Il n’était pas envisageable de pouvoir espérer compétitionner parmi la crème des athlètes canadiens en Figure et, 30 jours plus tard espérer parcourir 42.195 km dans un temps respectable tout en évitant les blessures.

Il est vrai qu’il peut exister une incompatibilité entre certaines variables d’entraînement. Ce phénomène peut s’avérer extrêmement contreproductif et peut rapidement faire en sorte que l’entraînement finit par nuire à l’entraînement. Une quantité trop importante d’entraînement aérobie peut augmenter considérablement la dépense énergétique ce qui rend plus difficile l’augmentation de la masse musculaire. Inversement, l’augmentation du volume musculaire, en plus d’augmenter le poids à transporter, peut diminuer l’oxygénation musculaire et causer préjudice aux performances de nature aérobie. Bref, gagner de la masse et courir un marathon, on ne fait pas ça en entraînement sans risquer de sérieuses contreperformances.

Il était donc très risqué de prendre ce pari et de planifier un entraînement concomitant visant une amélioration de la composition corporelle pour une compétition d’envergure en Figure (augmentation de masse musculaire, diminution de la masse grasse) et l’amélioration de la capacité et de l’endurance aérobie afin de courir un marathon à l’intérieur d’un temps décent. Il n’en fallait pas plus pour me tenter…

Il est bien important de comprendre que l’ensemble des qualités physiologiques que nous entraînons s’échelonne sur un continuum comportant plusieurs vecteurs. Certes, les extrêmes de ce continuum sont incompatibles, il est fort probablement impossible pour Phil Heath (Mr Olympia 2012) de battre le record du monde au marathon et pour le Kényan Patrick Makau (recordman au marathon) de remporter le titre à Olympia. Les performances extrêmes demandent un dévouement spécifique extrême. Cependant, en présence de performances moins extrêmes (comme c’est le cas pour 99 % de la population), il devient possible de combiner les différentes formes de stimulation afin d’améliorer des qualités physiologiques apparemment à l’opposé du continuum. Cela demande beaucoup de planification de la part de l’entraîneur et beaucoup de discipline de la part de l’athlète, mais c’est tout à fait réalisable. Disons que la marge d’erreur associée à l’ignorance et au laxisme ne pardonne pas dans ce genre de scénario.

Voici donc trois règles que j’ai employées afin de structurer une planification d’entraînement menant à une performance en Figure et au marathon.

Clairement identifier les qualités physiologiques entraînables

Il existe une grande quantité de qualités physiologiques entraînables, mais habituellement on les résume à la force et l’endurance musculaire, la capacité et l’endurance aérobie, la flexibilité et la puissance (certains y ajoutent la composition corporelle et la capacité de relaxation). Les qualités dites maximales (force, capacité aérobie, flexibilité, puissance) peuvent difficilement s’améliorer en présence de fatigue alors que les autres (endurance musculaire, endurance aérobie) doivent s’exercer dans un état de fatigue où l’on tente de prolonger un effort dans le temps. Il est donc essentiel d’identifier quelles qualités sont associées à la tâche que nous souhaitons réaliser. Bref, votre activité vous demande quel genre d’effort?

Identifier les séquences d’entraînement productives

Comme certaines qualités doivent être entraînées en absence de fatigue et d’autre en présence de fatigue, l’ordre dans lequel on sollicite les qualités entraînées prend de l’importance à l’intérieur d’une séance et même à l’intérieur d’une semaine d’entraînement. Par exemple, il serait peu productif de tenter de développer la force musculaire des membres inférieurs en fin de séance un vendredi soir après une dure semaine d’entraînement. La fatigue probablement accumulée ne permettrait pas l’expression maximale de cette qualité et les gains ne seront définitivement pas au rendez-vous. Par contre, l’entraînement de l’endurance musculaire pourrait bénéficier de la fatigue accumulée lors de la séance et de la semaine. On entraîne habituellement les qualités maximales en premier dans une séance et le plus tôt possible dans la semaine. Plus la séance et la semaine avancent, plus l’on peut miser sur le travail des qualités d’endurance. Dans le contexte de mon athlète, les débuts de semaine étaient plus axés sur le développement de la force musculaire et de la capacité aérobie alors que la fin de semaine était davantage caractérisée par du travail en endurance.

Maximiser la récupération

La récupération est l’enfant pauvre de l’entraînement. Se reposer est bien souvent mal perçu par l’athlète ou l’adepte du conditionnement physique. L’entraînement de qualités physiologiques opposées impose des demandes importantes à l’organisme (plus on étire le continuum, plus on stress l’organisme). Dans le cas d’une compétition de Figure et d’un marathon, la récupération prend une importance encore plus critique que l’entraînement en soi. Il faut faire un suivi régulier du niveau de forme et de l’état de fatigue et surtout, il ne faut pas hésiter à alléger l’entraînement au besoin. Trop, c’est toujours pire que pas assez. Il existe plusieurs indicateurs de fatigue à l’entraînement, en voici une courte liste :

–          Les fréquences cardiaques au repos au réveil
(une augmentation de ces dernières au fil des jours peut dénoter un manque de récupération)

–          Le sommeil
(si l’on éprouve des difficultés à s’endormir ou bien si l’on s’endort tout le temps et n’importe où peut dénoter des troubles de la récupération)

–          L’humeur
(de l’anxiété, de l’irritabilité, des réactions impulsives, un désir de confrontation peuvent dénoter un manque de récupération ou simplement un réel mauvais caractère)

–          Les performances à l’entraînement
(on devrait observer une progression dans la capacité à l’entraînement. Les charges devraient progresser, les puissances d’entraînement augmenter, etc.)

Il importe de demeurer toujours prudent lors de notre compréhension de principes d’entraînement. Si je m’étais arrêté à l’exemple de mon ancien professeur, jamais je n’aurais osé m’attarder à élaborer une planification d’entraînement comprenant des objectifs de performances diamétralement opposés. Pourtant, les objectifs fixés pour mon athlète ont tous été atteints. Il en va de même pour les adeptes du conditionnement physique à qui l‘on cherche trop souvent à mettre des barrières face à leurs objectifs. Oui, c’est possible d’améliorer ses performances sur le cardio et de gagner de la masse musculaire, il suffit de planifier et de s’entraîner intelligemment.