Dr Kin
Poids corporel

Êtes-vous responsable de votre poids ou bien votre poids est-il responsable de vous?

Il s’agit d’une théorie qui a son origine au début des années 80, celle du « set-point pondéral ». Issue du monde animal, cette théorie stipule que notre poids est régulé de façon à être maintenu à une valeur X, contre vents et marées. Cela expliquerait pourquoi tant de gens sont incapables de perdre du poids, il s’agirait tout simplement d’aller contre leur nature même. Nous n’y pouvons riens, nous sommes ce que nous sommes et rien n’y changera…

Théorie farfelue ou non? Voyons voir…

L’organisme est composé d’une tonne (bon d’accord par littéralement une tonne) de mécanismes régulateurs qui chapeautent différents processus. Notre température est régulée, notre circulation sanguine est régulée, etc. Pourquoi pas le poids? Premièrement, parce que le poids n’est pas composé de matière homogène. Deux individus du même poids et de la même grandeur peuvent présenter des quantités de masse grasse et de masse maigre différentes. La régulation du poids total serait donc très difficile à gérer étant donné la nature hétéroclite de ses composantes. Mais, se pourrait-il que la masse grasse et la masse maigre soient régulées par deux mécanismes distincts? Possible et alléchant comme théorie. Celui qui n’arrive pas à perdre du gras aurait un « set-point » qui ferait en sorte qu’il « doive » maintenir sa masse grasse au niveau inscrit dans ses gênes, alors que celui qui n’arrive pas à gagner du muscle se bat également contre ses gênes. Alléchant je vous disais…

D’autres vous diront que ça ne fait aucun sens et que cette théorie va à l’encontre de l’ensemble des théories de l’évolution. En effet, certains affirment que le « set-point » empêcherait l’organisme de s’adapter à son environnement et menacerait ainsi sa survie. En fait, il s’agirait plutôt de l’inverse, c’est-à-dire que l’environnement (et là, je ne parle pas de Greenpeace) agirait comme déterminant principal de notre composition corporelle. En présence d’abondance nutritionnelle, l’organisme tend à engraisser alors qu’en présence de restriction il perd du poids. Oui, mais est-ce que tout le monde gagne et perd du poids de la même façon? Alors, sommes-nous responsables de notre poids ou bien notre poids est-il responsable de nous?

Voici ma compréhension de la chose…

J’aime bien l’idée de mécanismes régulateurs, c’est monnaie courante chez l’être humain. Cependant, je doute que la régulation se fasse sur la masse grasse ou sur la masse maigre. J’opte davantage pour un mécanisme régulateur plus près de la survie, c’est-à-dire un mécanisme qui régit l’énergie. Ce qui importe à l’organisme, ce n’est pas tant la quantité de masse grasse ou de masse maigre, mais plutôt la quantité d’énergie disponible fasse à la demande. La leptine, une hormone du tissu adipeux (entre autre) influence notre appétit et potentiellement notre niveau d’activité physique. Cette hormone est directement influencée par les réserves de gras. En présence d’un déséquilibre énergétique, la leptine ferait partie d’un ensemble de mécanismes qui agirait de thermostat métabolique pour réduire le déséquilibre et restaurer une balance énergétique neutre. La composition corporelle ferait partie de l’équation, mais ne serait pas la cause ou la résultante : une modification de l’équilibre énergétique le serait plutôt. Ce qui veut dire que l’appétit et l’activité physique seraient les composantes affectées directement.

De façon intéressante, on observe que la réponse à une restriction énergétique est plus finement régulée que la réponse à une surconsommation. La diminution des réserves énergétiques constitue un risque immédiat (ça risque de vous tuer sur quelques jours, ou quelques semaines) plus important pour l’organisme que la prise de poids causée par un surplus énergétique (ça, ça vous tue sur quelques décennies). Le corps met en branle plus de mécanismes compensatoires (qui doivent être régulés) face à la perte de poids que pour le gain de poids. La théorie du « set-point pondéral » ne tiendrait la route que dans un sens et ne pourrait servir de justificatif pour l’augmentation du poids, l’organisme se battrait pour ne pas perdre de poids et non pour en gagner. De plus, comment expliquer l’augmentation rapide et prononcée du nombre d’individus en surpoids ou obèses au cours des dernières décennies? Subitement, la théorie se serait appliquée et le « set-point » aurait glisser sur l’onglet « obèse malgré tout »? Ou plutôt notre environnement aurait drastiquement changé et certains membres de l’espèce auraient de la difficulté à s’adapter?

L’équilibre serait donc axé sur la balance énergétique et sur l’état des réserves face aux besoins. Ces besoins sont en grande partie déterminés par l’environnement. Les demandes de notre quotidien ont varié d’une époque à une autre et, même aujourd’hui, varient grandement en fonction de nos occupations, de notre statut socio-économique, etc. L’environnement agirait comme un facteur X qui viendrait influencer nos mécanismes régulateurs en dictant des besoins d’adaptation. Par exemple, le cultivateur du début du siècle dernier devait travailler physiquement afin d’accomplir les tâches qui lui assuraient sa survie. L’organisme, en plus de gérer l’équilibre énergétique, devait gérer les adaptations pour la performance. Ainsi, l’appétit devait être régulé de façon à fournir suffisamment d’énergie pour accomplir les tâches et permettre les adaptations du système musculosquelettique et optimiser le travail. Bref, le fermier gagnait plus de masse musculaire et maintenait une masse grasse inférieure à l’opérateur du télégraphe parce les demandes du quotidien étaient différentes.

De façon plus contemporaine, la diminution des exigences physiques de notre quotidien juxtaposée à l’abondance nutritionnelle à laquelle nous sommes exposés, fait en sorte que nous sommes davantage en présence d’une balance énergétique positive que négative. Comme nos mécanismes régulateurs (appétit, activité physique ou autre) sont plus sensibles à la restriction qu’au surplus, il n’est pas surprenant d’observer un gain de poids dans la population. La prise de poids passe sous nos capteurs avant d’apparaître brutalement dans le miroir. Ce n’est pas une fatalité génétique, c’est seulement l’exploitation d’une faiblesse de notre système. Nous sommes plus sensibles à la perte de poids qu’au gain. Lorsqu’une personne souhaite perdre du poids, il faut donc qu’elle soit plus attentive à ses apports nutritionnels (qui vont vouloir augmenter) et à son niveau d’activité physique (qui va vouloir diminuer), car les mécanismes compensatoires régulant l’appétit et l’activité physique seront plus prompts à réagir dans ce scénario que lors d’une situation inverse de prise de poids. Cela implique également qu’il faudra plus d’efforts pour y arriver. Afin d’éviter de prendre du poids, il faut également être à l’affût de nos apports et de notre dépense, mais les efforts pour maintenir le poids devraient être, d’un point de vue théorique, moindres. Théorique parce qu’il faut tenir compte des modifications apportées à la relation avec l’environnement. Par exemple, un changement rapide et drastique de notre niveau d’activité physique risque d’être difficile à maintenir, rendant le maintien pratiquement impossible. Le même raisonnement s’applique à la restriction énergétique. La relation avec l’environnement tant au niveau de l’activité physique que des apports nutritionnels doit évoluer en fonction de l’amélioration des capacités physiques. On pourrait résumé cela à la théorie du tout tant recherché par Einstein, mais appliquée à la gestion du poids. Vous devez manger suffisament pour avoir une qualité nutritionnelle adéquate (une restriction trop importante prive de quantités adéquates de micronutriments) et bouger suffsament pour générer des adaptations positives de vos capacités physiques. Il s’agit d’une roue d’optimisation qui ne peut être mise en branle que par une composante mystérieuse: votre désir de changer.

 

Références

1.            The Set Point Theory.  http://www.healthscience.org/index.php?option=com_content&view=article&id=551:the-set-point-theory&catid=102:jeff-novicks-blog&Itemid=267.

2.            Bradley P. ‘The equilibrium set-point weight: human chorionic gonadotrophin and obesity’. International journal of obesity. 1979;3(4):380-389.

3.            Cabanac M. Role of set-point theory in body weight. FASEB journal : official publication of the Federation of American Societies for Experimental Biology. Apr 1991;5(7):2105-2106.

4.            Cabanac M, Frankham P. Evidence that transient nicotine lowers the body weight set point. Physiology & behavior. Aug 2002;76(4-5):539-542.

5.            Cabanac M, Morrissette J. Acute, but not chronic, exercise lowers the body weight set-point in male rats. Physiology & behavior. Dec 1992;52(6):1173-1177.

6.            Farias MM, Cuevas AM, Rodriguez F. Set-point theory and obesity. Metabolic syndrome and related disorders. Apr 2011;9(2):85-89.

7.            Garn SM. Role of set-point theory in regulation of body weight. FASEB journal : official publication of the Federation of American Societies for Experimental Biology. Jan 6 1992;6(2):794.

8.            Greenberg JA, Boozer CN. The leptin-fat ratio is constant, and leptin may be part of two feedback mechanisms for maintaining the body fat set point in non-obese male Fischer 344 rats. Hormone and metabolic research = Hormon- und Stoffwechselforschung = Hormones et metabolisme. Sep 1999;31(9):525-532.

9.            Harris RB. Role of set-point theory in regulation of body weight. FASEB journal : official publication of the Federation of American Societies for Experimental Biology. Dec 1990;4(15):3310-3318.

10.          Keesey RE, Corbett SW. Metabolic defense of the body weight set-point. Research publications – Association for Research in Nervous and Mental Disease. 1984;62:87-96.

11.          Kemnitz JW. Body weight set point theory. Boletin de la Asociacion Medica de Puerto Rico. Oct 1985;77(10):438-440.

12.          Khazaal Y, Chatton A, Claeys F, Ribordy F, Zullino D, Cabanac M. Antipsychotic drug and body weight set-point. Physiology & behavior. Sep 3 2008;95(1-2):157-160.

13.          Mosier HD, Jansons RA. Successive resetting of the set point for target body size. Growth, development, and aging : GDA. Spring-Summer 1989;53(1-2):35-41.

14.          Muller MJ, Bosy-Westphal A, Heymsfield SB. Is there evidence for a set point that regulates human body weight? F1000 medicine reports. 2010;2:59.

15.          Tremblay A. Dietary fat and body weight set point. Nutrition reviews. Jul 2004;62(7 Pt 2):S75-77.

16.          Van Itallie TB, Yang MU, Porikos KP. Use of aspartame to test the “body weight set point” hypothesis. Appetite. 1988;11 Suppl 1:68-72.

17.          Weinsier RL. Etiology of obesity: methodological examination of the set-point theory. JPEN. Journal of parenteral and enteral nutrition. May-Jun 2001;25(3):103-110.

18.          Weinsier RL, Nagy TR, Hunter GR, Darnell BE, Hensrud DD, Weiss HL. Do adaptive changes in metabolic rate favor weight regain in weight-reduced individuals? An examination of the set-point theory. The American journal of clinical nutrition. Nov 2000;72(5):1088-1094.

19.          Williams PT. Weight set-point theory predicts HDL-cholesterol levels in previously obese long-distance runners. International journal of obesity. May 1990;14(5):421-427.

20.          Williams PT. Weight set-point theory and the high-density lipoprotein concentrations of long-distance runners. Metabolism: clinical and experimental. May 1990;39(5):460-467.