Dr Kin
Homme, haltère.

Et si la mauvaise technique en entrainement n’était pas seule responsable des blessures?

Tous les entraîneurs vous le diront, la technique c’est important. Moi le premier, je vous dirai que la technique a son importance en entraînement. Cependant, est-ce que l’on peut sauter à la conclusion qu’une mauvaise technique va empêcher toute progression ou même pire, causer des blessures? Est-ce si évident?

Sérieusement, je me questionne constamment sur le rôle que la technique peut jouer dans le développement des blessures. Si je me fie à la littérature, on observe une prépondérance de blessures au niveau du tronc et des membres supérieurs tant chez les hommes (39.4 % des blessures répertoriées) que chez les femmes 44.6 % des blessures répertoriées)[1-3]. Une grande quantité de blessures se retrouvent principalement au niveau de l’épaule [4, 5]et semblent résulter d’une mauvaise technique, c’est-à-dire d’un mouvement exécuté de façon non conforme à des règles anatomiques[6]. Jusqu’ici, les choses semblent claires : si on ne respecte pas certains principes anatomiques, on coure un risque accru de développer des blessures. Développer étant le mot clé…

Développer, parce que les blessures aiguës sont rarement le fruit d’une mauvaise technique et prennent naissance bien souvent dans le manque de connaissance, l’insouciance et même dans la plus pure imbécilité (vous n’avez qu’à googler « gym fail » pour vous en convaincre). Les blessures d’usure sont beaucoup plus fréquentes et leur cause est plus difficilement identifiable.

Bien souvent, et je vais même avancer bien au-delà de la mauvaise technique, il y a la surcharge. Ici, je n’entends pas trop de poids sur un appareil, mais plutôt pas assez de récupération. Cette accumulation d’entraînement risque de causer des blessures d’usures dont l’incidence peut être influencée par une mauvaise technique, mais dont une bonne technique ne pas garantir la santé. De façon intéressante, on observe qu’une fréquence d’entraînement en musculation plus importante (3.2 entraînements par semaine vs 2.7 entraînements par semaine) et qu’une durée plus longue (66.8 min par séance vs 57.2 min par séance) augmente les risques de blessures[2]. Oui, si on est plus souvent et plus longtemps au gym, on a plus de risque de se blesser. Pour les avides participants de cours de Spinning, une tendance similaire est observée où une participation plus fréquente à des cours augmente également les risques de blessures aux genoux (2.9 cours par semaine vs 2.0 cours par semaine).

Il n’y a pas seulement la technique, il y a donc aussi la surcharge et la récupération. Je ne peux m’empêcher de penser à de nombreux instructeurs de cours de groupe qui insistent constamment sur l’importance de la technique, qui utilisent une technique exemplaire et qui malheureusement, souffrent constamment de blessures… d’usure.

La prévention des blessures à l’entraînement ne passe pas uniquement pas l’utilisation d’une technique exemplaire, mais bien par la mise en place de plusieurs éléments favorisant les adaptations. Il faut établir une progression adéquate qui donne un temps raisonnable pour les structures musculosquelettiques (et même certaines composantes psychologiques) de s’adapter au changement. Oui, il est possible de se tenir loin des blessures même si on a recourt à une technique déficiente (hoouuuu ! que j’ai de nombreux exemples de « gym rat » dont les techniques d’entraînement pourraient remplacer n’importe quels manèges d’un parc d’amusement, mais qui, contre toutes attentes, ne se blessent jamais). On est seulement plus à risque de se blesser si la technique est déficiente comme il y a un risque accru de blessure lorsque la surcharge est plus importante (pas forcément le poids, je vous le rappelle). Voilà pourquoi les « gym rats » passent 3 h au gym avec des pauses de 10min entre chaque série : en réalité, ils ont une mauvaise technique (risque accru), mais ils démontrent beaucoup moins de temps actif (risque moindre). On peut donc conclure que de parler au téléphone entre ses séries est un facteur atténuant les risques de blessures (bon, pas tout à fait…)[7].

Comment établir une progression adéquate afin de minimiser les risques de blessures? Il faut d’abord être conscient que l’on tente de minimiser les risques de blessures et qu’il y aura toujours une part de risque en entraînement (des blessures, ça arrive). Cependant, l’utilisation de paramètres et de cycles d’entraînement permet de favoriser les adaptations (plus de résultats) et de minimiser les risques de blessures (sans avoir recours au téléphone cellulaire). Voici quelques suggestions :

Phase d’introduction (2-4 semaines)

Cette phase d’entraînement devrait être mise à profit dès qu’il y une cessation de l’entraînement pour plus de 2 semaines du plus pur néophyte à l’athlète de pointe. Elle est caractérisée par un volume d’entraînement plus bas pour les principales qualités physiologiques  (mois de séries, moins d’exercices, durée moindre de cardio) et habituellement par un volume plus important pour l’entraînement en flexibilité. Pourquoi? Parce que les tensions mécaniques exercées par l’entraînement en flexibilité permettent de générer des adaptations structurelles au niveau de l’ensemble de l’appareil musculosquelettique. Un complexe muscle-tendon plus élastique, c’est plus performant et ça répond mieux à la surcharge. L’intensité de l’entraînement (charge soulevée, vitesse sur le tapis, puissance développée, etc.) est sous-maximale lors des entraînements initiaux et on peut mettre l’emphase sur la technique. Progressivement (dès la 2e semaine), il est possible d’augmenter l’intensité à des valeurs plus proches des valeurs d’entraînement habituelles. Par la suite, on peut augmenter le volume d’entraînement pour occasionner une surcharge plus importante vers la fin de la phase d’introduction (semaines 3 et 4).

Phase de développement (4-8 semaines)

Elle suit immédiatement après la phase d’introduction et est caractérisée par un développement progressif des qualités physiologiques ciblées (augmentation de la force, de l’hypertrophie, de la capacité aérobie, de l’endurance aérobie, de la flexibilité active, etc.). La progression peut être linéaire, c’est-à-dire que le volume et l’intensité augmentent de façon progressive au cours des semaines ou elle peut être ondulatoire, c’est-à-dire que le volume et l’intensité vont fluctuer à l’intérieur de la phase. Peu importe le mode de progression, la phase de développement doit permettre une progression et le participant doit être en meilleure forme à la fin de la phase qu’au début (évident, mais toujours simple). Lorsque la phase de développement est plus longue (~8 semaines), il peut s’avérer judicieux de planifier une semaine d’allègement où on reprend une semaine d’entraînement provenant de la phase d’introduction. Ce stratagème permet de bien « vivre » la progression en offrant des outils de comparaison de terrain (est-ce que les séances sont plus faciles ou non) et dans le pire des scénarios, il offre un répit favorable à la récupération.

Phase de récupération (1-4 semaines)

Il s’agit d’une phase régressive qui peut être linéaire (diminution linéaire du volume et de l’intensité) ou ondulatoire où les hauts sont de moins en moins hauts ce qui permet un retour progressif à des valeurs de volume et d’intensité légèrement supérieurs aux valeurs observées lors de la phase d’introduction. Cette phase permet de maximiser la récupération et offre une opportunité de faire un bilan sur les dernières semaines afin de réorienter l’entraînement si nécessaire. À la suite de la phase de récupération, il est possible d’enchaîner avec une cessation complète de l’entraînement ou bien de poursuivre avec une phase d’introduction plus courte (1 semaine) pour se lancer dans une nouvelle phase de développement.

Pour ceux et celles qui sont familiers avec différents modèles de périodisation, vous comprendrez qu’il s’agit d’un modèle excessivement simple et épuré qui s’adresse à une clientèle de conditionnement physique et qui vise une progression « sûre » offrant un compromis entre une diminution des risques de blessures et l’amélioration de la condition physique.

 

Références

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3.            Knapik, JJ, MA Sharp, M Canham-Chervak, K Hauret, JF Patton, and BH Jones. Risk factors for training-related injuries among men and women in basic combat training. Med Sci Sports Exerc 2001; 33(6). 946-54.

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5.            Bhatia, DN, JF de Beer, KS van Rooyen, F Lam, and DF du Toit. The “bench-presser’s shoulder”: an overuse insertional tendinopathy of the pectoralis minor muscle. Br J Sports Med 2007; 41(8). e11.

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