Dr Kin
télétravail

Télétravail et prolongement de l’espérance de vie

S’adapter à une nouvelle réalité peut parfois entraîner son lot de complications et d’inconvénients. Toutefois, de tout changement peut naître des opportunités uniques. La migration imposée vers le télétravail a considérablement modifié certaines habitudes de vie. Au Canada, nous prenions en moyenne 25,5 minutes pour se rendre au travail1 (~50 min de déplacement par jour). Environ 17 % de gens se déplaçant pour le travail y consacrent plus de 45 min (> 90 min de déplacement par jour). Le temps passé assis dans la voiture ou dans le transport en commun représente une activité sédentaire (<1,5 METs). Le temps passé au travail peut également être sédentaire (travail de bureau, etc.) en plus d’être jumelé à une exposition à des écrans (travail sur ordinateur, tablette, etc.).

Mais, quel est le lien entre le télétravail, le temps de déplacement pour le travail, la sédentarité et le temps d’écran ?

La mortalité précoce toutes causes confondues.

Ça, c’est la mesure de la mortalité avant l’espérance de vie estimée, peu importe la cause (généralement on parle de maladies du cœur, de cancer, d’AVC, etc.).

La sédentarité est une cause importante de mortalité2, 3, en fait parmi le Top 5 mondial. Être sédentaire tue. Seulement ~15 % des Canadiens atteignent les recommandations de 150 min d’activité physique modérée ou plus par semaine ce qui fait en sorte que nous sommes passablement sédentaires. De plus, beaucoup d’entre nous passent de nombreuses heures assises durant la journée, pour certains plus de 7 heures par jour ce qui entraîne également des complications significatives pour la santé. Finalement, une bonne partie de ces heures assises se passent devant un écran.

Le tableau 1 présente l’impact du niveau d’activité physique par semaine sur la mortalité toutes causes confondues. Les valeurs sont présentées en METs-min par semaine. Cette unité de mesure pour sembler abstraite, mais revêt une utilité importante. Les recommandations canadiennes de 150 min d’activité physique d’intensité modérée représentent une valeur approximative de 750 METs-min par semaine. Les METs-min sont un indicateur du niveau de sollicitation d’une activité physique et de son impact sur l’organisme. Il s’agit de la quantité et de l’intensité des activités combinées ensemble. Une activité physique comme promener son chien est associée à une intensité de 3,0 METs (voir le Compendium des Activités Physiques pour obtenir les équivalences d’activité physique en METS). Promener son chien 5 jours semaines à raison de 10 minutes par promenade correspond à 150 METS-min par semaine (5 jours x 10 min X 3 METs). En regardant plus attentivement le tableau 1, nous pouvons constater un rapport de chance équivalent à 1 lorsque nous atteignons ~750 METs-min par semaine. Toujours en se référant au tableau 1, un cumul de 250 METs-min par semaine signifie que notre niveau d’activité physique quotidien augmente notre risque de mortalité de près de ~25 %. Sur l’échelle des Xs, ~1,25 signifie que l’événement, ici la mortalité précoce, risque de se produire avec 25 % plus de chance que si l’on complétait ~750 METs-min par semaine (1 valeur de 1 signifie qu’il y autant de risque que l’événement se produise ou non).

Tableau 1: Activité Physique et risque de mortalité précoce toutes causes confondues

Le tableau 2 nous présente l’impact du temps assis sur les risques de mortalités précoces toutes causes confondues. Une personne cumulant un total de 4 à 6 h de temps assis durant la journée et ne complétant que 150 METs-min par semaine se trouve à augmenter son risque de décès prématuré de près de ~40 % comparativement à un individu très actif assis moins de 4 h par jour. Ce qui est inquiétant des données du tableau 2, c’est que même si une personne rencontre les recommandations canadiennes en matière d’activité physique (~750 METs-min par semaine), mais qu’elle est assise 4 h par jour, son risque de décès prématuré est quand même plus important (Tableau 2 : catégorie 960 METs-min par semaine, <4 h par jour de temps assis ; ~1,15 ou ~15 %). C’est en complétant plus de 2130 METs-min par semaine que l’on arrive à contrebalancer les effets du temps assis jusqu’à concurrence de 4 à 6 h par jour. Ceci équivaut à promener le chien (3 METs) pendant ~100 min par jour, 7 jours par semaine. Bien sûr, nous pouvons avoir recours à des activités plus intenses comme courir à 12 km/h (~12 METs), ce qui nous donnerait une course de 25 min par jour chaque jour de la semaine. Peu importe la combinaison d’activités, d’intensité et de durée, atteindre les 2130 METs-min par semaine n’est pas chose facile.

Tableau 2: Sédentarité et risque de mortalité précoce toutes causes confondues

Le tableau 3 ajoute la composante exposition à un écran dans l’équation. Pour une personne complétant 150 METs-min par semaine, être devant un écran pendant 3-4h par jour signifie une augmentation du risque de mortalité précoce de près de ~45 %. Rien pour embellir notre mode de vie axé sur le travail assis devant son poste de travail pendant de longues heures. En fait, les risques de décès prématurés sont aussi important que pour un ex-fumeur4 (rapport de chance de 1.43 ou 43%). Il est important de noter que la pratique d’une quantité importante d’activité physique (<1800 METs-min par semaine) peut réussir à contrebalancer jusqu’à 1-2 de temps d’écran et qu’une quantité très importante d’activité physique (> 2130 METs-min par semaine) peut contrebalancer jusqu’à 3-4h d’exposition quotidienne à un écran.

Tableau 3: Temps d’écran et risque de mortalité précoce toutes causes confondues

Le télétravail nous permet de récupérer près d’une heure par jour normalement allouée aux déplacements aller-retour pour le travail. En utilisant ce temps pour pratiquer une activité physique d’intensité modérée (3 à 6 METs) chaque jour, nous pouvons accumuler entre 900 et 1800 METs-min par semaine. La nouvelle réalité du travail à distance offre la possibilité de cumuler suffisamment d’activité physique pour considérablement diminuer les risques de mortalités toutes causes confondues associées à notre ancien mode de travail. De plus, en modifiant nos habitudes de travail, et le télétravail offre également cette possibilité, nous pouvons plus aisément réduire notre temps assis. Par exemple, il peut être plus facile de prendre une pause de 5-10 min debout à toutes les heures chez soi qu’au travail. On peut également plus aisément se lever chez soi que dans son cubicule au travail. Il s’agit bien d’une opportunité et non d’une obligation. Il est tout aussi possible que le télétravail se solde par une augmentation du temps assis ou encore une augmentation du temps d’exposition à un écran (vidéoconférences).

Ça risque d’être le cas pour les étudiants/es confrontés/es à un enseignement à distance.

Il s’agit possiblement de la tranche de la population la plus à risque de voir son niveau de sédentarité et son temps d’exposition à des écrans augmenter de façon importante. À moins de contrer par une augmentation importante du niveau d’activité physique, le mode de vie actuel risque d’entraîner des conséquences fâcheuses sur la santé de ces pauvres étudiants/es. Il est donc extrêmement important se sensibiliser les étudiants/es à leur niveau d’activité physique, leur temps sédentaire/assis et le temps d’exposition à des écrans.

Personnellement, j’ai décidé d’instaurer des mesures de l’activité physique et de la sédentarité auprès de tous les étudiants/es de mes groupes, que ce soit au collégial ou à l’université (en mettant à profit leur téléphone intelligent). J’ai incorporé ces mesures, leur évolution respective et la façon de les modifier dans des évaluations ou des travaux de session afin de les sensibiliser à l’impact de leur mode de vie sur leur santé ainsi que sur les stratégies efficaces (pour eux, individuellement) pour modifier ces variables cruciales. Il est de mon avis que des actions similaires doivent être entreprises afin de stimuler la pratique régulière d’activités physiques ainsi que d’offrir des outils d’évaluation aux étudiants/es afin de contrecarrer certains effets secondaires du travail/enseignement à distance. Il devient donc important de chercher à incorporer la pratique régulière d’activités physiques dans un contexte d’enseignement à distance.

La bonne nouvelle, c’est qu’avec des interventions simples et peu coûteuses, il est possible de renverser la vapeur. Il suffit d’un peu d’information et de bonne volonté.

Références

  1. Le déplacement domicile-travail Available: https://www12.statcan.gc.ca/nhs-enm/2011/as-sa/99-012-x/99-012-x2011003_1-fra.cfm. Accessed 19-09-2020, 2020.
  2. Booth FW, Roberts CK, Thyfault JP, et al. Role of Inactivity in Chronic Diseases: Evolutionary Insight and Pathophysiological Mechanisms. Physiological Reviews. 2017;97(4):1351-1402.
  3. Panahi S, Tremblay A. Sedentariness and Health: Is Sedentary Behavior More Than Just Physical Inactivity? Front Public Health. 2018;6:258.
  4. Mehta N, Preston S. Continued increases in the relative risk of death from smoking. Am J Public Health. 2012;102(11):2181-2186.